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samedi 22 mai 2010

Permanence d'amour

Crédit: Deviantart/TheBestCabinBoy

Un jour où j'arrive plus tôt l’après-midi, je rejoins un collègue en permanence. Il garde les demi-pensionnaires en attendant le retour des externes. La salle de perm est animée. Bien qu'ils ne soient que 8 ou 10 à manger à la cantine pendant le ramadan, j'entends des rumeurs de rires et autres gloussements, au loin. En entrant dans la salle, mon collègue m’avertit : "On parle d'amour ici ! Entre !" Il me salue, me fait la bise, et aussitôt, huit voix s'élèvent en choeur:

"AAhhhhh il lui fait la bise ! Mais c'est qu'il y en a d'autre, ici, des histoires d'amouuuuur !!!!! " "Ouhouhouhou"

La discussion tourne autour de Delphine. C’est une petite blonde de 12 ans, dodue comme une petite caille. Elle fait un peu tâche, ici, avec son imperméable rose-bonbon et son cartable à roulette. Elle a le cheveu gras, un dauphin en pendentif et parle avec une voix de bébé.

 Ses camarades essaient de lui faire avouer  qu'elle est amoureuse du petit Mohammed. Ça ne serait pas étonnant, j’ai noté qu'il lui courait joyeusement après, hier, et que ça avait l'air de beaucoup amuser la demoiselle... Mohammed parle mal français, mais il riposte tant bien que mal. Et Delphine rougit.

Quand je demande à un autre gamin de qui il est amoureux, celui-ci m’explique "Moi j'aime personne, moi, je suis juste attiré. Bah quoi, on peut pas être amoureux quand on connaît pas, on peut juste être attiré moi je dis!"

Protestation dans la salle, certaines jeunes filles n’adhèrent pas du tout à l’idée. Quand l'amour est là, on le reconnait tout de suite.

Quant au grand Illies, il reste étrangement silencieux, un petit sourire dessiné sur le coin de la joue.

samedi 1 mai 2010

La pluie ne fait pas plaisir

Au bout de quelques jours de travail, je pensais avoir un aperçu assez  complet de ce qui m’attendait pour l’année à venir.

Mais je n'avais pas encore connu la pluie.

Trois bastons dans une journée, voire trois et demi même. Pas moins.

Trois bagarres : des cris, des pleurs, des engueulades, des parents convoqués qui tirent une triste mine. Et puis tout le reste : tous ces gamins excités, deux qui finissent par terre, poussés par d'autres, des bousculades.

Il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie un sixième les quatre pattes en l’air, coincé sur le dos par son sac qui pèse plus lourd que lui.

J'ai appris par une collègue que Mélusine, qui est de tous les coups, était précédemment en internat, ou elle a provoqué un incendie. La semaine dernière, déjà, la principale adjointe m'avait conseillé de me tenir à distance d'elle. Il y a quelque chose qui me gêne dans le regard de cette grande blonde. Quelque chose qui fait peur, comme la sensation qu’elle pourrait vraiment dégénérer. Elle s'est battue cet après-midi. Je ne vous expliquerai pas les raisons, ce sont toujours les mêmes : des gens disent qu’une telle t’a insulté, un regard de travers,  tu la ré-insulte, elle te tire les cheveux, tu lui fiches un pain et tout ça finit par une exclusion du collège.

Bref, sa grande sœur est venue la chercher avec le beau-frère. On m'a dit que la mère avait plus ou moins renoncé à gérer sa fille. Elle aurait dit "ne plus savoir quoi faire avec cette gamine"...  Dur, même quand on est face à une petite peste. Je leur ai fait signer une décharge, avant de la laisser partir. En entrant dans le bureau, la grande sœur pleurait. Je vous avoue que ça fait bizarre. J'avais un peu envie de la consoler, de lui dire « c'est pas si grave, tout finira un jour par s'arranger pour Mélusine. » Malheureusement, je n'en sais rien.

Et c'est triste.